Quelle est la situation actuelle à Berlin ?
Harald Matthes : Nous sommes l’une des six cliniques qui effectuent des tests de dépistage du virus dans un service ambulatoire dédié et qui, si nécessaire, proposent des traitements. Il y a une énorme affluence de personnes inquiètes. Nous avons donc décidé de recevoir les patients en ambulatoire dans une maison à l’écart réservée à ce service, sur notre site, afin de limiter la menace de contagion. Ce service ambulatoire a été présenté au journal télévisé du soir du Tagesschau. En outre, nous avons mis en place une hotline de quatre à six postes où, dans un premier entretien, nous délivrons des conseils aux personnes inquiètes et les prions, s’il le faut, de se faire tester dans le service dédié au coronavirus. Conformément au règlement RKI, nous ne pouvons faire les tests que sur des personnes présentant déjà des symptômes, si bien que les personnes qui viennent par exemple du Tyrol du Sud ou qui ont été en contact avec des personnes infectées et veulent seulement s’assurer de leur état de santé n’ont, dans un premier temps, pas besoin de venir. Tous ces nombreux cas qui représentent environ 90 % des demandes affluent dans d’autres cliniques. Ils engorgent ainsi les centres de secours et les urgences. Cette présélection téléphonique s’est avérée très judicieuse.
Les cas augmentent-ils ?
Lundi dernier, nous avons eu 130 patients, dont 54 ont été testés. À la Charité, il y en a eu 100. Le deuxième jour, 322 ont appelé, 65 seulement sont venus au service ambulatoire. Les entretiens préalables nous permettent d’éviter toute forme de cohue et empêchent que de grands groupes s’accumulent dans les salles d’accueil où ils risquent d’être contaminés. L’équipe de crise se rencontre quotidiennement et cette hotline dédiée aux conseils nous permet de prendre les personnes en charge efficacement. Tous les patients testés positifs sont ensuite placés en quarantaine et interrogés sur tous leurs contacts sociaux des 4 à 7 derniers jours. En moyenne, ce sont 30 personnes qui doivent alors partir en quarantaine. Dans le service ambulatoire du coronavirus, nous avons jusqu’alors bien pu maîtriser cet afflux. La situation est plus difficile pour la capacité d’accueil des laboratoires berlinois. Au début, nous recevions les résultats entre 4 et 8 heures ; à présent, nous devons attendre les résultats 24 heures ou plus.
Nous devrions passer du concept pathogénique au concept salutogénique. Dans cette perspective familière à la médecine anthroposophique, il est bon que les personnes plus jeunes soient contaminées les premières, pour construire une immunité collective et à terme, protéger les personnes plus âgées.
Pour le personnel de la clinique qui s’est trouvé sans protection en contact direct avec des patients, les quarantaines ont été suspendues à Berlin et les collaborateurs concernés ont désormais l’obligation de porter constamment un masque approprié. Ces personnes sont ensuite testées les premier, cinquième et dixième jours afin de détecter une possible infection ou en cas de symptômes. Par ces mesures, nous pouvons maintenir notre activité à un niveau correct.
À quoi vont ressembler les prochaines semaines ?
Le nombre de personnes infectées va croître maintenant de façon exponentielle. En réalité, il ne s’agit pas d’empêcher la propagation. Car, comme je l’ai dit, en raison des capacités limitées, nous ne pouvons tester que des personnes présentant déjà des symptômes. Mais 60 à 80 % des personnes infectées sont pratiquement sans symptômes, ou seulement avec des symptômes légers. Nous ne les recensons donc pas. Cela signifie que l’épidémie continue de se propager de façon significative. De toutes les personnes que nous avons testées positives au coronavirus, 14 à 15 % présentent des symptômes plus marqués et 4 à 6 % doivent être hospitalisées, parce qu’elles sont en détresse respiratoire et peuvent déclarer une inflammation pulmonaire. 1,7 à 2,5 % de toutes les personnes contaminées ont besoin d’un lit de réanimation. Alors qu’en cas d’inflammation pulmonaire bactérienne les patients doivent rester en moyenne 5 à 6 jours avec un respirateur, le temps est deux à trois fois plus long pour ceux qui sont atteints par le coronavirus. C’est là que les passages difficiles vont survenir dans un avenir proche. À la clinique Havelhöhe, nous avons doublé notre capacité d’assistance respiratoire et nous pouvons encore la tripler. Le chaos en Italie a été lié au manque de lits avec respirateurs. Les petits hôpitaux n’ont justement que des capacités réduites. Cela a provoqué une augmentation tragique de la mortalité en Italie.
Que conviendrait-il de faire maintenant ?
Nous devons investir au plus vite dans des capacités supérieures d’assistance respiratoire. Cela me paraît actuellement plus important que de soutenir les secteurs économiques défaillants. Nous voyons que même des mesures drastiques ne peuvent pas empêcher l’expansion du Covid-19. La vie sociale est désormais interrompue dans son ensemble. Même la restriction à 1000 participants pour les réunions est une grandeur abstraite, car 50 personnes dans un espace faiblement aéré se contaminent plus que 1000 personnes en plein air, dans les stades, si les distances entre elles sont suffisantes. Ces chiffres-limites généraux n’ont guère de sens. Même une quarantaine, comme actuellement en Italie pour tout le pays, me semble être plus de l’activisme qu’un véritable management de crise. Les infections continueront à grimper là-bas aussi. Nous savons que chez les enfants et les personnes jeunes, la mortalité n’est que de 0,02 %. Le virus ne devient dangereux qu’avec l’âge, c’est là que devrait se porter toute notre attention. C’est ce que l’on appelle une démarche de stratification des risques. N’oublions pas : il y aura un vaccin au plus tôt dans un an, de sorte que la pandémie ne se perdra que lorsque 60 à 70 % de la population aura contracté la maladie et ainsi construit une immunité. Il s’agit donc maintenant de pourvoir en masques de protection les personnes âgées et celles qui s’en occupent et que le plus grand nombre possible de personnes jeunes soient immunisées contre le virus, afin que nous atteignions l’indispensable immunité collective de 70 %. Je trouve ici la stratégie actuelle de fermeture des jardins d’enfants et des écoles contreproductive. Une « stratification du risque » devrait se concentrer sur les personnes âgées et assurer leur protection.
Perspectives pathogéniques et salutogéniques
La médecine conventionnelle continue majoritairement à se laisser guider par la pathogenèse : c’est ce qui nous rend malades, donc le virus, qui doit être anéanti. Dans la perspective salutogénique, ce dont il s’agit, c’est de développer l’immunité en face de la maladie. Nous devrions passer du concept pathogénique au concept salutogénique. Dans cette perspective familière à la médecine anthroposophique, il est bon que les personnes plus jeunes soient contaminées les premières, pour construire une immunité collective et à terme, protéger les personnes plus âgées. Les arguments avancés dans de nombreux débats sur la vaccination sont la clé, ici aussi. La panique qui a été suscitée – aussi par les médias – a atteint une telle échelle que même des personnes jeunes, qui dans la plupart des cas ne s’aperçoivent pas qu’elles sont infectées, angoissent, voire deviennent hystériques. La médecine conventionnelle, qui revendique rationalité et sang froid, réagit ici sur le mode panique et émotionnel – ce qui ne manque pas d’ironie. Je ne suis pas surpris que nos collaborateurs, ici à la clinique, en dépit de la forte pression, conservent un bon état d’esprit positif. Ils connaissent aussi bien la conception salutogénique que pathogénique de l’être humain et c’est une aide pour prendre ici la situation au sérieux et en même temps garder confiance, demeurer forts.
Note de la rédaction : le Dr. Harald Matthes s’est exprimé ici sur les mesures de restrictions de rassemblement et d’immunité collective alors que l’Allemagne n’était pas encore dans l’état d’urgence actuel et qu’elle n’avait pas encore fermé ses frontières.
Article initialement paru das Das Goetheanum n°12, 2020, traduit par Claudine Villetet.
Images : Clinique de Havelhöhe, Berlin. Image mise en avant : www.quellonline.de
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