Il y a quelques années, j'ai rencontré Luzmila Carpio, célèbre chanteuse du peuple quechua (Bolivie). Elle fut un temps, sous le gouvernement d'Evo Morales, ambassadrice de Bolivie auprès de l'UNESCO. Quelqu’un avait recommandé un de ses disques1 à ma femme et cette musique nous avait beaucoup touchés. Quelques semaines plus tard, invité dans une ferme biodynamique du sud de la France, je me suis rendu en soirée à un festival écologique. Mes hôtes m'avaient demandé d'y conduire leur amie bolivienne. Nous échangeâmes nos impressions pendant le trajet et je remarquai soudain que la femme dont la voix m'avait tant impressionnée était assise à mes côtés… C'est parfois ainsi que l'on fait connaissance ! Elle nous raconta par la suite que sa mère, en entendant les chants des oiseaux, savait qu'un invité viendrait le soir même : une vie évidente avec « l'invisible ». Nous découvrîmes d'autres points communs entre l'approche biodynamique et la tradition quechua, à commencer par le fait que toutes deux considèrent la Terre comme un être vivant.
Nous nous sommes demandé quel type de relation établir entre une agriculture biodynamique née en Europe et la tradition cosmologique quechua. Chaque courant pourrait avoir besoin de l'autre. Luzmila nous raconta que les jeunes ne cultivent plus leurs traditions, aspirent à la modernité et rejettent ainsi tous les fondements spirituels. La rencontre avec des personnes pratiquant en Europe une agriculture « moderne », fondée sur l’esprit, pourrait les inciter à prendre leurs traditions au sérieux. Ces traditions et la reconnaissance croissante des peuples autochtones pourraient nous donner à nous-mêmes, biodynamistes européens, davantage de légitimité dans notre recherche d'une approche spirituelle de l'agriculture. J'avais également remarqué à d'autres occasions que dans de nombreux pays du monde, en Inde, au Togo ou en Argentine par exemple, les agriculteurs étroitement liés à la terre aspirent à renouer avec leurs traditions et à spiritualiser leur travail. Comment apprendre les uns des autres ? C'est pour en discuter que nous avions invité des représentants de peuples autochtones du monde entier au Congrès d’agriculture de 2020 (« Les chemins du spirituel dans l'agriculture »2)

Luzmila Carpio 2014 Photo : Mauro Rico, Ministerio de Cultura de la Nación, cc 2.0.

 Qui sont les peuples autochtones ?

À la suite des mouvements de décolonisation et d'émancipation, ces peuples s'affirment et cherchent à être reconnus. Ils ne souhaitent pas seulement être tolérés ou considérés comme des sujets de recherche intéressants pour l'ethnologie. Ils veulent être réellement pris au sérieux. Leurs représentants participent dans ce but activement à tous les grands rassemblements, comme récemment au Congrès de la nature organisé à Marseille (UICN) 3, ou encore à la conférence sur le climat COP 26 de Glasgow. Représentant des peuples autochtones du Brésil, de la Bolivie, du Pérou, de l'Équateur, de la Colombie, du Venezuela, de la Guyane, du Surinam et de la Guyane française, Diaz Mirabal (membre de l’ethnie Wakuenai Kurripaco) y a déclaré lors de la conférence de presse : « Nous sommes à la COP 26 pour faire ratifier notre proposition que 80% de l'Amazonie reste en vie. Nous sommes l'Amazonie pour la vie, nous sommes le cri de l'air, de l'eau, des créatures de la forêt, nous sommes là pour obtenir des réponses et des mesures de la part des États ».4

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