Mon frère et moi avons grandi dans une grande ferme au cœur du désert, au Mexique. Nous montions à cheval jusqu'à la ligne d'horizon, y dormions, allumions un feu et observions les étoiles. C'était inspirant d'aller dans la nature, de découvrir la beauté et de trouver des réponses aux grandes questions que nous nous posons tous en tant que jeunes. J'ai donc cru que je pourrais retrouver cette passion pour la nature en biologie, inspirée par le travail de nombreux naturalistes et chercheurs. Je me suis lancé dans des études scientifiques, pensant que j'y trouverais aussi des réponses. Au tout début, j'étais très heureux. La biologie est étonnante. Pendant mes études, j'ai travaillé dans différents laboratoires, dont un qui portait le joli nom de « Laboratoire des origines de la vie ». Je pensais alors que nous découvririons comment tout avait commencé. Nous avons étudié quelque chose de très beau : des formations sédimentaires stratifiées. Mais nous n’avons même pas abordé la question de savoir où était la vie. J'ai donc bifurqué vers l'écologie des plantes tropicales. J'ai passé sept ans à étudier les plantes dans les forêts tropicales : j'étais bien plus heureux. Les interactions entre les différents niveaux d'animaux, de plantes et d'autres êtres vivants sont tout simplement fascinantes. Il n'existe pas de mathématiques capables de comprendre réellement ces interactions. J'avais besoin d'une autre façon de les comprendre. Quand nous étions enfants, on nous avait appris à dessiner, comme on apprend à manger avec une fourchette. Quand j'expliquais quelque chose à ma mère, elle me disait : « Je ne comprends pas, peux-tu le dessiner ? ». Pendant mes études dans la forêt tropicale, j'ai beaucoup dessiné ; j'ai même gagné un peu d'argent en faisant du dessin scientifique.

C'est alors qu'est survenue ma véritable première grande crise de sens, un jour que j'étudiais la répartition des fougères dans la forêt. J'avais un fisheye, un objectif photographique à 360 degrés, et je photographiais le ciel, car dans les forêts tropicales la lumière est une ressource importante. Les arbres forment ce que l'on appelle « une lucarne », un trou dans la canopée qui varie selon les saisons, les arbres tombant lors des tempêtes et ouvrant des brèches dans la canopée. Deux hectares dans un pays plat, sans aucune plante, ne paraissent pas si grands. Mais dans la forêt tropicale, ce lieu rocailleux rempli d'animaux dangereux, de serpents mortels, etc., un recensement sur deux hectares de terrain est plutôt un défi. Je tentais donc de déterminer la répartition des espèces de fougères. J'ai regardé la photo du ciel, dans la lucarne, et j'ai réalisé que je ne comprendrai jamais vraiment ce qui se passe avec ces seules méthodes. Je sentais de la peine et de l’effroi car j'avais supposé à tort que la science pouvait tout expliquer. Cette crise m'a poussé à me tourner vers l'art. Je voulais trouver une autre voie : elle allait devenir ma méthodologie.

Je n'ai donc pas décroché mon master en sciences conventionnelles, mais j'ai commencé à travailler comme artiste. Pendant de nombreuses années, j'ai peint la forêt tropicale et j'ai exposé dans des galeries. Quelqu'un, dans une galerie, m'a un jour demandé : « N'êtes-vous pas plutôt un scientifique ? On ne peut quand-même pas mélanger l'art et la science ! ». J'ai donc décidé de les mélanger et, en cherchant qui l'avait déjà fait, j'ai trouvé Goethe qui avait la capacité de travailler à la fois dans le monde de la science et dans le monde de l'art.

Eduardo Rincón pendant son exposé lors d'un congrès. Photo : Johannes Kühl

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