Qu'est-ce qui vous a amenées à travailler ensemble ?
Hanneen Il y a quelques années, j'enseignais l'arabe en ligne et Miriam a commencé à apprendre avec moi. Au-delà des identités et de nos origines, ce qui a rendu notre relation spéciale, c'est le cœur de Miriam, un cœur humain plein d'amour et de compassion. Dès lors, je me suis sentie en sécurité avec elle. Puis la violence s'est répandue partout. Elle éclatait juste sous nos yeux, sur nos écrans. J'ai commencé à me questionner : « Que pouvons-nous faire pour arrêter cela ? ». Avec une telle polarisation, il était clair que je ne souhaitais pas être complice de cette division. C'est vraiment lié à la personne dont on ne veut pas se séparer, et nous ne voulions pas nous séparer l'une de l'autre. Nous avons développé ensemble la vision selon laquelle nous avons besoin les un·e·s des autres pour construire la paix. Sans être ensemble, cela ne peut réussir. Sans la liberté et l'égalité pour tous, cela ne peut se faire. Il ne s'agit pas d'Israéliens et de Palestiniens, mais d'une question plus large, d'une question humaine. Si nous permettons que cela arrive à Gaza, demain, ce sera un autre endroit, et encore un autre après-demain.
Miriam Mes grands-parents faisaient partie du mouvement sioniste. Ils sont venus ici et ont commencé à coloniser le pays. Je suis vraiment désolée pour tous ceux qui ont perdu leur maison et je reconnais leur souffrance. En même temps, je ressens la bénédiction d'être de retour chez moi. Je le dis en mon nom personnel, mais je sais aussi que de nombreux Juifs considèrent cet endroit comme leur maison. Cela ne justifie pas la manière dont nous sommes venus, loin de là. C'est juste que je me sens plus chez moi en Israël que partout ailleurs. C'est ma maison et je reconnais que c'est aussi une maison pour d'autres, pour la nation palestinienne. Je cherche des moyens pour que nous soyons chez nous ensemble, car je ne vois pas d'autre avenir. Il y a vingt ans, je suis entrée dans un magasin où était assis un homme blond et je lui ai demandé d'où il venait, parce qu'il n'avait pas l'air d'être du coin. Il m'a répondu : « Devine ! ». Finalement, il a déclaré : « Je suis palestinien. Je suis un réfugié ». Il m'a dit à quel point il détestait Israël et les Israéliens. Je me suis interrogée sur ce que je devais répondre à cela. Il a demandé : « Et d'où viens-tu ? ». J'ai dit : « Devine ! ». Il n'a pas pu, alors je lui ai dit : « Je suis israélienne. Est-ce que tu me détestes, alors ? ». Il m'a regardée et m'a dit : « Comment puis-je te détester ? Je n'ai rencontré que des soldats et ils ont tué mon oncle ». Il n'était pas en mesure de voir l'être humain, parce qu'ils étaient tous en uniforme, alors comment pouvait-il ne pas haïr ? Soudain, il a vu un être humain auquel il était en mesure de s'identifier.
L'histoire israélienne dit que nous sommes ceux qui devons nous protéger par tous les moyens et que tout le monde ne veut que nous tuer. Nous n'avons pas guéri la blessure et le traumatisme de l'holocauste. Je dis cela par compassion pour mon propre peuple et ma nation. Nous devons guérir nos blessures les plus profondes. Alors je ne rencontre plus l'autre comme quelqu'un qui veut me tuer, mais comme quelqu'un qui veut seulement gagner sa vie et mener une bonne vie. Il s'agit de notre guérison intérieure d'en assumer la responsabilité. Nous ne devrions pas nous laisser entraîner dans des histoires qui ne cessent d'alimenter les divisions. Nous pouvons continuer à nous battre indéfiniment, mais cela coûterait de nombreuses autres vies et beaucoup plus de souffrance.
Que pouvons-nous faire ?
Miriam La meilleure chose à faire est de ne pas prendre parti. Cela ne fait que répéter l'histoire, or nous voulons créer une nouvelle histoire. C'est le passé. L'histoire de la paix est une histoire dans laquelle les deux peuples ont leur place ici. Pour cela, nous devons cesser de prendre parti, car cela ne nous rendra pas égaux. Il y aura toujours quelqu'un à blâmer et quelqu'un à défendre. C'est un processus continu. Il faut donc reconnaître la douleur et le traumatisme des deux peuples, et voir comment nous pouvons prendre la responsabilité de guérir non seulement les Israéliens et les Palestiniens, mais aussi nous-mêmes et tous les êtres humains. Nous avons la responsabilité de guérir nos traumatismes, de guérir nos blessures, de regarder notre douleur et celle des autres en face.
Qu’advient-il de la colère ?
Miriam Elle est vraiment un carburant puissant. Lorsque nous la ressentons, c'est comme si c’était aussi fort que l’amour, quelque chose de très précieux pour nous. Nous devons voir notre colère et la traiter avec respect. Puis nous nous demandons : « Qu'attisons-nous ? Est-ce que j'alimente la haine en retour ? ». Ou est-ce que je dis : « C'est tellement important pour moi, que je ne te laisserai pas me traiter ainsi, moi et les miens ! ». Je peux orienter la colère dans une direction constructive, plutôt qu’aggraver la destruction dans une autre direction.
Hanneen La non-violence ne signifie pas être faible et ne pas agir. Elle signifie que nous choisissons ce que nous voulons faire de notre colère, de notre frustration et de tout ce à quoi nous sommes confrontés. Nous décidons de construire quelque chose qui soit constructif, porteur d'avenir et de changement.
Miriam Nous travaillons ensemble sur différents projets, dont une cérémonie de deuil commune en ligne, le 7 octobre, pour les Israéliens et les Palestiniens, afin de rendre hommage aux pertes, à la douleur et à la destruction dans notre pays. Nous participons aux « Peace Weavers », un groupe de femmes médecins, palestiniennes et israéliennes, qui organisent des marches de prière et des cérémonies de guérison. Il y a aussi le projet de paix « Satyam », un lieu où Israéliens et Palestiniens peuvent se rencontrer pour diverses activités et formations non-violentes, afin de favoriser la croissance et la résilience de la communauté de paix.
Comment surmonter les sentiments de colère, de frustration, voire de haine, tout en vous accrochant à votre vision ?
Miriam Nous prions, nous dansons, nous chantons, nous organisons des cérémonies de deuil, nous partageons, nous nous exprimons et nous soutenons mutuellement dans notre douleur.
Haneen Nous nous soutenons mutuellement, nous prions. Et j'effectue un travail d'activisme qui sensibilise à la situation à Gaza. J'ai récemment rejoint une initiative de paix dans le cadre de laquelle un appel Zoom est organisé tous les vendredis afin de partager et d'écouter les autres. Cette initiative d’action basée sur l'amour m'a soutenue dans ces temps difficiles. Parfois, je me sens impuissante et en colère, et je dois me rappeler que chacun et chacune a un rôle à jouer pour mettre fin à cette guerre, et que cela commence par moi.
Adaptation française :
Camille Ablard et ÆTHER X
Sources :
- L'intégralité de l'interview est disponible dans le podcast « That Good May Become » (épisode 57) de Laura Scappaticci, 16 avril 2024.
- « Peace Weavers »
- Projet « Satyam »
- Un entretien approfondi avec Haneen Sabbah est disponible dans le podcast « Sounds of Sand » (épisode 87), 20 avril 2024, Cultural Stories and Mysticism of Gaza, scienceandnonduality.com
Discussion pour membres