Est-il acceptable qu’une pédagogie soit fondée sur l’intuition que l’être humain est avant tout un être créateur ? Qu’il peut devenir libre, que son destin commence avant sa naissance et que sa responsabilité vis-à-vis du monde continue après sa mort ? Ces idées, répandues dans différentes cultures et traditions philosophiques, sont également centrales dans la démarche anthroposophique qui voudrait contribuer à refonder un rapport digne de l’être humain avec lui-même et avec le monde. Certaines personnes estiment que si la pédagogie Steiner-Waldorf repose sur ces intuitions, elle devient une pédagogie confessionnelle.

Cette mise en cause repose cependant sur deux erreurs. Premièrement, Rudolf Steiner, fondateur historique de la pédagogie Steiner-Waldorf, est toujours explicite sur le fait que l’anthroposophie doit être inspiratrice de la méthode, et non du contenu de l’enseignement à donner. Le contenu de l’enseignement n’est pas spécifique à l’école Steiner-Waldorf ou à l’anthroposophie : il est constitué du patrimoine culturel et scientifique de l’humanité et de son savoir-faire. Comme dans chaque école sur la planète. La deuxième erreur consiste à s’imaginer que les écoles Steiner-Waldorf seraient malgré tout, ne fut-ce que dans leur méthode justement, les écoles d’une certaine vision du monde, alors que les écoles ayant d’autres inspirations pédagogiques ne le seraient pas. Or, quel enseignant ou quelle institution pourrait prétendre ne pas refléter une certaine vision du monde dans sa méthode ? Qu’elle soit républicaine, utilitariste, scientiste, humaniste, spirituelle, chacune des actions humaines est marquée par une ou plusieurs intuitions quant à la nature de l’être humain, de sa place dans la société, etc.

Plus généralement, il est important que chaque enseignant puisse suivre et cultiver son intuition libre sur la pertinence de telle ou telle pédagogie. C’est seulement à cette condition que les idées pédagogiques d’un Steiner ou d’un autre pédagogue ne sont pas un conditionnement, ou une méthode à appliquer dogmatiquement. Elles deviennent un support permettant d’approfondir et d’étoffer l’intuition pédagogique individuelle. Celle-ci est première, et permet, si elle est prise au sérieux, d’éviter les écueils du dogmatisme et du conformisme.


Cette réflexion a été inspirée par le livre de Jost Schieren: La pédagogie Waldorf, État des lieux, fondements et perspective, Éditions Triades, 2018