Rembert Biemond, d'où vient ton intérêt, dès les années 90, pour l'œuvre et la vie d'Edith Maryon ?

Rembert Biemond Comme beaucoup d'autres, j'étais intéressé par l'histoire de la Société anthroposophique. En 1924, le Comité directeur, Rudolf Steiner compris, comptait six membres, mais il y avait sept responsables de département : les mêmes six, plus une autre personne, et cette autre personne était Edith Maryon. Qui était cette femme dont on savait si peu de choses à l'époque, si ce n'est qu'elle avait collaboré à la sculpture en bois de Rudolf Steiner et fabriqué, en contreplaqué, ce qu'on appelle les figurines d'eurythmie ?

Le livre de Rex Raab sur Edith Maryon, paru dans la collection « Pionniers de l'anthroposophie », n'existait-il pas déjà à l'époque ?

Non, et la riche correspondance qu'elle a entretenue avec Rudolf Steiner n'était pas non plus disponible à ce moment. Dans l'édition complète, on trouvait le discours que Rudolf Steiner a tenu à son décès, en 1924, et de courts textes à visée mémorielle parus dans des revues, mais guère plus. Edith Maryon est morte, en effet, un an avant Rudolf Steiner. Ce sont les modestes sources que j'ai pu exploiter. Ce qui existait à l'époque, c'étaient des personnes qui avaient encore connu Edith Maryon ou qui, au moins, l'avaient rencontrée. J'ai recherché ces personnes, et j'ai entendu parler de John Wilkes, en Grande-Bretagne, qui travaillait sur elle et de Rex Raab, qui préparait un livre. J'ai parlé longuement avec eux deux par la suite. C'est ainsi que je me suis familiarisé toujours plus avec la vie d'Edith Maryon. Maintenant, trente ans plus tard, la situation a bien changé. On a publié une série de livres sur elle, et notamment, il y a trois ans, l'ouvrage de quatre kilos sur son grand œuvre, Le Représentant de l'humanité. Elle reste aussi dans les mémoires grâce au travail fructueux de la Fondation Edith Maryon, qui porte son nom depuis 1990. 

Rembert Biemond, Barbara Schnetzler et Wolfgang Held

Et toi, Barbara Schnetzler, comment l'as-tu rencontrée en tant qu'artiste ?

Barbara Schnetzler Lorsque l'on rencontre l'anthroposophie en tant que sculptrice, il est impossible de passer à côté d'Edith Maryon. En tant qu'artiste, c'est évident, on s'intéresse à la sculpture du Christ, qui n'existerait sans doute pas sous cette forme sans son concours fidèle. Les plans et esquisses qu'elle a réalisés pour cette sculpture témoignent à eux seuls de la finesse et du niveau technique d'une artiste confirmée. J'ai été ensuite touchée par la fluidité et la sensibilité de ses premiers travaux. Ses œuvres de jeunesse en Grande-Bretagne montrent, elles aussi, un savoir-faire magistral.

Elle a sculpté le Représentant de l'humanité avec Rudolf Steiner, mais tu écris qu'elle a réalisé 90 % du travail.

Biemond Oui, c'est l'estimation. Mais il ne s'agit pas de statistiques horaires. Le plus important, le plus décisif à mes yeux est la réussite, au plan artistique, d'une forme de collaboration que nous qualifions aujourd'hui de « cocréation ». C'était le style de travail de Steiner dans ses dernières années : il a collaboré avec certaines personnes sur un pied d'égalité. Pour les maquettes de la sculpture, il y a eu des aller-retours entre eux deux : Maryon travaille, Steiner corrige, puis il travaille et elle corrige. Il a ensuite insisté pour que tous deux signent l'œuvre de leur nom. Oui, il s'agissait bien d'une cocréation, dans laquelle chacun anime et inspire l'autre. Nous pouvons dire avec certitude que cette sculpture, à laquelle d'autres ont également travaillé, est l'œuvre de leur vie.

Sa création éveille-t-elle une expérience esthétique originelle ?

Schnetzler Oui, tout à fait. L'être humain est au centre de sa création. Ses sculptures sont empreintes de grâce humaine, il s'en dégage le dynamisme d'une profonde vitalité intérieure. Ses figures sont imprégnées d'un style formel, d'une connaissance des proportions humaines. Ses premières œuvres montrent qu'elle a étudié les formes du corps humain et qu'elle sait comment combiner les volumes en un grand geste, avec délicatesse et subtilité. On est dans le passage entre le classicisme et l'Art nouveau : à la rigueur égyptienne, un peu occulte, de ses premières créations se mêlent soudain rythme et fluidité. Cette trame éthérique, notamment dans les draperies de ses personnages, est peut-être liée à sa rencontre avec Rudolf Steiner. C'est précisément dans le Représentant de l'humanité et dans la réalisation de Lucifer, dans le dynamisme des ailes, que l'on a ce rythme admirable et cette conscience des proportions.

Je n'ai pas pu voir de pièces originales de son travail antérieur en Grande-Bretagne. Il n'existe, de cette époque, que des photographies. Je ressens cependant dans ces clichés son intérêt précoce pour la spiritualité et sa quête profonde.

Edith Maryon, To the Witches' Revels

Que signifiait, il y a cent ans, le fait de travailler comme artiste, comme sculptrice ? C'était bien un domaine masculin ?

Schnetzler Oui, la sculpture, à l'époque, était certainement un domaine masculin. Il y avait bien quelques sculptrices en ce temps-là, mais on ne les connaissait pas. Aujourd'hui encore, les sculptrices de cette période sont peu connues. Mais en un sens, elle est une pionnière : son parcours était très inhabituel et surtout, même si ses origines lui donnaient une certaine sécurité économique, elle a tracé sa voie en tant que femme dans le Londres de l'époque.

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