Nous venions de publier ce tweet pour annoncer que nous ne souhaitions plus échanger avec des personnes qui nous insultent, malgré notre démarche encline au dialogue depuis la création de notre média, car il est évident que l’injure n’est pas une base acceptable pour dialoguer de manière saine. Étant la cible récurrente de propos agressifs et injurieux, il nous avait semblé pertinent de donner un cadre à notre participation : pas d’insultes, dont celle de « secte ». Sur Twitter, en effet, de nombreuses personnes se permettent de verser quotidiennement dans l’injure et la diffamation, de poster des commentaires haineux ou de mauvaise foi, souvent sous couvert d’anonymat. Il nous semble donc cohérent de poser des limites pour qu’un espace d’échange sain puisse exister.
Une meute haineuse se déchaine
Une fois notre tweet du 5 août 2021 mis en ligne, il est resté quelque jours sans provoquer de réactions particulière. Nous nous réjouissions de cette prise de position, qui laissait augurer d’un apaisement de notre espace d’expression sur Twitter. Mais, soudainement, notre post a été partagé par des comptes possédant beaucoup de followers, puis commenté et diffusé en masse, sans que nous ne puissions voir par quel biais il était devenu viral. Il a été vu plus de 1,8 million de fois en 5 jours… pour un tweet qui nous semblait naturel et anodin.
À ce jour, notre message a aussi fait l’objet d’un bon millier de commentaires, de citations du tweet répétant inlassablement « anthroposophie secte » avec des commentaires souvent fort désagréables et généralement insultants. Certaines des accusations (voir les exemples ci-dessous) sont graves et relèvent sans aucun doute de l’injure publique et de la calomnie.
Du coup, je dirais pas que vous êtes une secte, la miviludes le dit mieux que moi.
Vous êtes des connards criminels 🖕😘— rob 💉💉💉🇨🇵🇪🇺🏳️🌈☢️ #FBPE (@RobmorTours) August 8, 2021
L'antroposophie est une secte puissante qui mériterait d'être dissoute (par la mivilude faute d'acide 🙃).
N'oubliez pas que la marque Weleda suit leurs "principes", ça pullule dans les pharmacies et rayons beauté et hygiène. https://t.co/zoyM1eofaV— Strudel (@ElStrudel) August 9, 2021
(Exemples de messages agressifs à l’encontre d’ÆTHER, X (Twitter), août 2021.)
Nous avons reçu des centaines de messages de ce type et souhaitons attirer l’attention sur ce phénomène. Ces propos diffamatoires, bafouant les règles du civisme et de l’échange d’idées, confirment précisément ce que nous dénoncions. Il est évident que toute forme de dialogue est impossible face à ce genre de comportement. Nos positions sont claires, pourtant, et un grand nombre d’éléments étayant nos arguments sont consultables librement sur notre site internet. Dans le « thread » de notre tweet initial du 5 août 2021, nous avions d’ailleurs mis en lien certains de nos articles, qui approfondissent beaucoup d’aspects philosophiques ou scientifiques, une base qui permettrait d’échanger sans s’insulter. Mais les individus qui nous agressent par message interposé n’ont, de toute évidence, aucune envie d’approfondir quoi que ce soit. Si leur démarche était intellectuellement honnête, ils n’emploieraient pas de tels qualificatifs et prendraient la peine de consulter les documents et recherches que nous proposons en libre accès.
Pourquoi le mot « secte » est une insulte
Certains diront que le mot « secte » n’est pas nécessairement péjoratif. Mais il faut être honnête : dans les échanges de la vie courante, et en particulier sur Twitter, il est toujours utilisé de manière péjorative dans le but de discréditer d’emblée la parole de l’interlocuteur. Les institutions publiques utilisent le mot « sectaire » (dérives sectaires) pour qualifier certains comportement nocifs contre lesquels il faut lutter (c’est la mission dévolue à la Miviludes). Le mot « secte » suggère ainsi un comportement socialement toxique voire criminel.
Les rapports de la Miviludes ou d’autres services de l’État n’ont jamais relevé de « dérives sectaires » avérées concernant l’anthroposophie, mais font état d’interrogations et de vigilance. Le dernier rapport de la Miviludes fait seulement état d’interrogations, comme on peut le voir sur la capture d’écran ci-contre. Les « saisines » correspondent en général à des demandes d’information.
Une situation ambigüe, car l’anthroposophie figure ainsi sur une liste alors qu’aucun élément factuel ne vient étayer le motif de ce listage. Une liste d’indices permettant de reconnaître une dérive sectaire a par ailleurs été établie par la Miviludes : la déstabilisation mentale, le caractère exorbitant des exigences financières, la rupture avec l’environnement d’origine, l’existence d’atteintes à l’intégrité physique, l’embrigadement des enfants, le discours antisocial, les troubles à l’ordre public, l’importance des démêlés judiciaires, l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels et les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics. Il suffit de parcourir cette liste et d’enquêter sérieusement sur l’anthroposophie pour voir que ces critères ne sont aucunement constitutifs de l’anthroposophie. Le mouvement anthroposophique ne constitue d’ailleurs pas une communauté particulièrement organisée, mais un courant de pensée avec des traits plutôt anarchistes où ne règne pas une pensée unique, sans délimitation précise d’appartenance et qui se développe de manière protéiforme et variée.
Mais malgré l’absence d’éléments à charge, l’anthroposophie continue de figurer dans les rapports de la Miviludes, ce qui incite certains à penser qu’elle serait cataloguée comme « secte ». On ne peut tout de même pas considérer que l’existence d’interrogations constitue un facteur suffisant pour qualifier un courant de « secte », surtout lorsque ce qualificatif renvoie à un comportement néfaste, voire criminel. Cette situation est absolument délétère, car sur les réseaux sociaux, cela donne lieu à des accusations suivies de condamnations sans procès et livrent les personnes travaillant avec l’anthroposophie à la vindicte populaire. La haine envers les anthroposophes est perceptible et pourrait même être considérée comme une mise en danger des personnes au regard de la virulence des propos. Ces procès virtuels, menés sans tribunaux sur les réseaux sociaux, en particulier sur Twitter, ressemblent à des lapidations d’un genre douteux, évoquant parfois les chasses aux sorcières et les bûchers de l’Inquisition. Dans ce cas précis, les réseaux sociaux semblent être le théâtre de résurgences moyenâgeuses.
Bien qu’il soit tout à fait compréhensible de lutter contre la fanatisation, les abus commis envers les personnes et les phénomènes d’aliénation, il nous semble que la Miviludes devraient faire évoluer ses méthodes de travail. On ne peut continuer à stigmatiser – et même mettre en danger par la haine qui est ainsi indirectement cautionnée – les personnes qui travaillent avec l’anthroposophie, alors que ces dernières ne présentent pas de comportement nocif pour la société. Sans vouloir manquer de respect à cet organisme d’État dont les intentions sont certainement louables, nous attirons l’attention sur l’article critique rédigé par le sociologue italien Massimo Introvigne : « Le nouveau rapport MIVILUDES : mauvaise méthodologie, résultats peu fiables ». Il y critique la méthode des « saisines » sur laquelle se base la Miviludes :
« La Miviludes persiste dans son culte des “saisines” même si elle sait qu’elles sont rarement fiables, comme en témoigne le fait que sur plus de 3 000 “saisines” reçues en 2020, seules 16 ont été transmises aux procureurs pour une éventuelle intervention judiciaire (ce qui ne signifie pas que les procureurs ont réellement agi sur leur base). Un bon exemple est le Village des Prunes de Thích Nhất Hạnh, une communauté que beaucoup ne considéreraient ni comme “sectaire” ni comme controversée. Elle occupe une certaine place dans le rapport, sur la base de 12 “saisines” reçues par la Miviludes en trois ans (en moyenne, 4 par an). Le rapport inclut la plainte d’une personne qui écrit qu’après une semaine au village des Pruniers sa “sœur fait des remarques étonnantes et elle n’est plus la même personne.” Un autre plaignant a écrit à la Miviludes que le village des Pruniers “fait énormément de mal aux gens en les endoctrinant.” Là encore, rien ne prouve que le Village des Pruniers ait été autorisé à se défendre, ou que des érudits connaissant bien Thích Nhất Hạnh et le Village aient été consultés pour faire un commentaire. Ce n’est pas seulement une mauvaise méthodologie, c’est un chemin qui mène infailliblement à la calomnie et à la diffamation. Sur la base de quelques témoins hostiles, une communauté entière est mise au pilori et exposée publiquement comme déviante. »
Des chasseurs en mission
Depuis quelques années, nous avons identifié certains comptes Twitter qui stimulent et organisent des campagnes de bashing à l’encontre de l’anthroposophie. Il est clair que plusieurs individus se sont donné pour mission de faire la chasse à l’anthroposophie. Certains sont déjà bien connus, d’autres moins.
Un personnage en particulier, Grégoire Perra, sur lequel nous avons déjà publié un article, est soutenu pour diffuser les mensonges les plus absurdes (comme le montre le tweet ci-dessus) et essayer de criminaliser ceux qui travaillent avec l’anthroposophie, réclamant qu’on croit son témoignage sur parole et manipulant les faits avec malice pour étayer son propos. Il alimente ainsi, avec une petite poignée de personnes, la rumeur et l’ostracisme à l’encontre de l’anthroposophie. Aidé par quelques journalistes et influenceurs, cela fonctionne assez bien. Du moins sur Internet. Dans la réalité, c’est assez différent. Par exemple, les journalistes du Monde sont venus sur le terrain et ont rencontré des dizaines de personnes avant de publier leur série d’été (juillet 2021) sur l’anthroposophie. C’est probablement ainsi qu’ils ont constaté de leur propres yeux l’absurdité des récits de Grégoire Perra et de ses quelques camarades de chasse. Toute personne qui connaît la réalité du terrain pourra faire le même constat.
Dans le monde virtuel, il est facile de raconter tout et n’importe quoi. Les comptes Twitter qui se sont donné pour mission de « faire la peau » à l’anthroposophie sont accompagnés de hordes de petits comptes rattachés à la mouvance des « zététiciens ». Ces derniers se réclament des courants « rationalistes » et « sceptiques ». Ces comptes commentent de façon péremptoire ce qui leur semble être en désaccord avec leur compréhension de la « science ». Et ils se plaisent à qualifier de « pseudo-science » tout ce qui ne correspond pas à leurs dogmes. Bien entendu, ils considèrent que ces dogmes sont valables, car majoritaires : ils appellent cela le « consensus scientifique ». Nous ne contestons pas qu’ils soient majoritaires. Mais est-ce la majorité qui doit décider de ce qui est vrai ?
Toute innovation, toute nouveauté, toute révolution arrive d’abord par le biais de voix minoritaires. Confondre l’opinion majoritaire avec la vérité nous semble donc être une dérive « sociologiste » grave du point de vue épistémologique. Le consensus scientifique n’a jamais été un critère de scientificité et ne pourra jamais l’être : il s’agit d’un fait sociologique et non pas d’une vérité sur le long terme. Il y a de fortes chances pour que des minorités, peu importe lesquelles, non reconnues dans un consensus « global », détiennent aussi des vérités inconnues de ce consensus. Pourtant, ces militants du « consensus scientifique » aimeraient voir apparaître des instances de régulation de la vérité scientifique qui ressemblent fortement à une Inquisition 2.0.
Ce phénomène de réseaux organisés visant à imposer de manière hégémonique une certaine compréhension de la science et du monde est décrit par des journalistes et sociologues de renom, comme dans le récent livre Les Gardiens de la raison ou l’article « Contre l’imposture et le pseudo-rationalisme » de Bruno Andreotti. Ils appellent cela de l’« astroturfing ». Dans son article, Andreotti témoigne : « Sur Twitter, les « Ze », les « Zet » et les autres forment une communauté solidaire mais hétérogène, portant des attaques en meute et, se défendant en adoptant la posture du martyr numérique que je décrirai plus bas. Ainsi, l’annonce du présent article m’a valu six menaces de procès, la collecte et la diffusion des quelques photographies en ligne où je figure, la recherche de mon adresse privée et une incroyable cohorte d’insultes. »
De notre point de vue, il s’agit moins de rationalisme et de scepticisme que de dogmatisme matérialiste à la limite du fanatisme. De l’extérieur, il est difficile de savoir s’il s’agit d’un militantisme idéologique ou d’intérêts privés animant des réseaux de personnes plus ou moins naïves dans un but de lobbying. Du point de vue du débat d’idées, le phénomène évoque plutôt une résurgence des structures religieuses médiévales : la science devient un dogme (idéologie figée), une religion (croyance en une autorité extérieure) et une église (communauté organisée avec possibilité d’excommunication), portant le projet d’une inquisition de la pensée. Selon nous, une épistémologie humaniste moderne, fondée sur la liberté, nécessite de replacer l’individu pensant au centre et non une institution qui détiendrait la vérité pour tout le monde.
L’individu est un penseur, c’est la base de sa dignité. Toute communauté évolue grâce aux individus qui cherchent, innovent et ouvrent de nouvelles perspectives soumises à des débats variés et civilisés, sans insultes, sans anathèmes, sans inquisition. Prôner l’hégémonie d’un « consensus » dominateur au-dessus de l’individu dénote une conception collectiviste et déhumanisante de la connaissance, qui peut à bon droit choquer tous les défenseurs de la liberté de penser. Ce thème a par exemple été traité dans notre article « Totalitarisme épistémologique et république de la connaissance ».
Ce non-dogmatisme est inscrit dans les gènes du courant de pensée anthroposophique qui vit aujourd’hui dans le monde sous forme variée, dont Rudolf Steiner fut un grand promoteur et qui remonte à Paracelse, Goethe, Novalis et toute la Naturphilosophie. Dans sa Philosophie de la liberté, Steiner écrivait : « Pour qu’un savoir nous satisfasse, il ne doit jamais se soumettre à une norme extérieure, mais jaillir de la vie intérieure de la personnalité. Nous ne voulons pas non plus de ce savoir glacial, fixé une fois pour toutes dans des formules rigides, codifié pour tous les temps à venir et conservé dans des encyclopédies à jamais intangibles. Chacun de nous revendique le droit de prendre comme point de départ ses expériences les plus directes, ses intuitions immédiates et de s’élever, à partir d’elles, à la connaissance de tout l’univers. Nous aspirons à un savoir sûr, mais accessible à chacun selon sa manière. »
Un avenir civilisé ?
Il n’est pas nouveau que les chantres de la liberté se voient livrés à la vindicte des autoritaristes de tous poils. Nous prenons cette expérience sur Twitter avec positivité. Nous sommes convaincus que les personnes dotées d’une réflexion individuelle et de bon sens constateront qu’il s’agit là d’une chasse aux sorcières d’un autre âge. Mais nous imaginons également que des internautes non préparés, qui se font tout à coup lapider en masse virtuellement et avec violence parce qu’ils ont publié quelque chose qui déplait à ces milices, puissent en être choqués, retirer rapidement leur tweet ou s’autocensurer par peur de représailles. C’est ce qui arrive aujourd’hui, par exemple, à toute personne qui publie au sujet de l’anthroposophie, de la biodynamie, des écoles Waldorf, mais aussi au sujet des médecines complémentaires ou de l’homéopathie, par exemple.
En cherchant à diffuser des réflexions et regards issus d’une recherche anthroposophique, nous ne souhaitons pas entrer dans une guerre virtuelle. Notre intention est seulement de contribuer aux réflexions publiques de manière civilisée, avec des apports qui nous semblent importants et pertinents. Chacun est libre de s’y intéresser ou non et il n’y a là aucune raison d’organiser des lapidation publiques via des insultes en masse. Cette volonté de participer au débat public est d’ailleurs la preuve qu’il n’y a rien de sectaire dans l’anthroposophie. Si l’anthroposophie était sectaire, elle se refermerait sur elle-même. N’est-il pas étrange que le simple fait de parler de karma ou de réincarnation fasse de vous une secte ? N’a-t-on pas le droit, en France, d’inclure le suprasensible, la méditation, la dimension spirituelle dans notre réflexion sans être insulté ? Ne peut-on pas cultiver des idées différentes, inhabituelles, originales, minoritaires, mais qui peut-être, peuvent contribuer à surmonter les problèmes que la pensée « majoritaire » ne parvient actuellement pas à résoudre ?
Sans prosélytisme et sans se considérer comme la seule voie pertinente, l’anthroposophie pense pouvoir abonder précisément dans le sens des exigences que formule la philosophe Corinne Pelluchon dans son livre Les Lumières à l’âge du vivant :
« Les transformations doivent, pour être profondes et durables, affecter les modes de production et de consommation et concerner à la fois les représentations, les affects et les couches les plus archaïques du psychisme. C’est ainsi que pourra émerger un nouvel imaginaire. Les connaissances scientifiques et les arguments philosophiques ne suffisent pas à changer la société. La plupart du temps, ils ne font pas le poids face aux intérêts économiques et aux habitudes. En revanche, une pensée cohérente, qui propose une vision d’ensemble de la société, s’adresse à la fois la raison et au cœur, articule la pensée et l’action et inspire des créations imaginaires, attachant des significations nouvelles aux mots employés, peut conduire à une remise en question radicale des représentations et des pratiques liées au schème de la domination. Elle peut donner une force symbolique et une structuration. »
L’anthroposophie est une invitation à la réflexion, à la philosophie, à la méditation, à la poésie de la vie, à une exploration de thèmes qui sont rarement traités dans les débats habituels et qui ouvrent la question de la dimension spirituelle de l’être humain et du monde. Elle veut stimuler la créativité et l’action, pour un monde plus humain et plus en harmonie avec l’environnement, tout en intégrant pleinement le progrès technique et la modernité. L’anthroposophie n’est pas « antivax », elle n’est pas dogmatique et elle ne cherche pas à recruter. Elle propose une démarche intellectuelle respectueuse des différences, de la nature, de l’enfance, de la vie, des animaux et de l’humain en général, sans discriminations. La liberté de penser, la rigueur et la recherche d’un discours contradictoire font partie de cette démarche. La question n’est pas d’adhérer à des idées, mais de tolérer l’existence de multiples façons de comprendre le monde, sans que cela donne lieu à des campagnes d’insultes, de calomnies et d’exécutions expéditives sur la place publique que sont les réseaux sociaux. L’équipe d’ÆTHER a cependant toute confiance en l’intelligence humaine, dans la bonne volonté des services de l’État et dans le fait que le dialogue respectueux est toujours fécond.
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