Une incompréhension courante vis-à-vis de l’œuvre de Rudolf Steiner concerne la signification du mot « esprit ». Wolfgang Schad éclaire le concept et aide à se former une représentation plus réaliste de l’esprit dans son livre Rudolf Steiner et sa relation à la science (Éditions Triades, 2016) dont nous publions ici un extrait.


Si l’on veut comprendre l’œuvre de Rudolf Steiner, il faut pouvoir développer une nouvelle façon d’appréhender ce que l’on entend par l’esprit. Sinon, on en reste à un dialogue de sourds. Pour Steiner, ce qu’on nomme habituellement l’« esprit », en tant qu’apparence suprasensible, n’est pas vraiment l’esprit, car ce n’est qu’une image (imagination) de l’esprit, et non pas l’esprit créateur lui-même. Pour lui, en effet, on ne rencontre la réalité de l’esprit que là où quelque chose de nouveau, d’imprévisible, transforme de façon innovante ce qui existait jusque-là, donc là où quelque chose se fait, de façon créative. Si, dans les conférences ou les écrits de Steiner, on remplace le mot « esprit » par « activité », cela fonctionne toujours.

Cette compréhension totalement dynamique de l’esprit concerne en premier lieu l’expérience que l’on peut faire de la nature spirituelle individuelle de chaque être humain : son Je. Dans la première œuvre anthroposophique de Steiner, La Théosophie, à la fin du premier chapitre, le Je est d’abord décrit comme le contenu de l’« âme de conscience » ; puis comme l’« âme d’entendement et de sentiment » elle-même. Dans le deuxième chapitre, Steiner propose même au lecteur quatre versions du mot : je, « je », Je, et « Je », sans que cette multiplicité soit expliquée. S’agit-il de la même réalité ? Cela reste ouvert. Une telle utilisation du petit mot « je » laisse entendre que le Je ne se laisse pas enfermer dans un concept, parce qu’il est un pur dynamisme. Quand on veut le saisir, il échappe, en tant qu’objet, au sujet, car il est identique à celui-ci. Pour le dire encore mieux : il n’est rien, mais il devient sans cesse « dans la diversité des conceptions, des connaissances et ainsi de suite, le Je est ce foyer qu’il est impossible de saisir parce qu’il fuit encore et toujours à reculons quand nous voulons l’appréhender. »1

Constantin Brancusi (1876-1957), L’Oiseau dans l’espace, 1932-40. © 2018 Artists Rights Society (ARS), New York/ADAGP, Paris, Source.

Il est ce qui reste toujours en germe, et constitue donc ce qui est le moins présentable. Et c’est pourtant le potentiel qui, précisément à cause de cela, donne à chaque être humain sa nature propre, inviolable, sa dignité. Il ne peut jamais devenir un objet.

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